Quiproquos, malentendus, confusion : les mirages de l'amour
Un sourire, un geste... Certaines femmes prennent le moindre signe pour une déclaration et plongent tête baissée dans une passion imaginaire. Mais pourquoi se trompe-t-on si souvent dhistoire damour ?
Catherine Marchi
Pendant cinq ans, j'ai aimé passionnément un collègue. Plus les jours passaient, plus je me consumais damour, en silence... Tout me prouvait qu'il partageait mes sentiments. Ses yeux qui cherchaient constamment les miens, sa façon de me dire bonjour, de me sourire, de humer mon parfum avec un air gourmand, de me frôler...
Un jour, la direction a décidé de le muter. La peur de le perdre m'a donné le courage de me jeter à l'eau. Je l'ai invité à dîner aux chandelles, chez moi. Il n'est jamais venu. Les jours suivants, il m'a évitée, on ne s'est plus reparlé. Cette douche froide m'a ouvert les yeux : j'étais mortifiée, anéantie, brisée de m'être fourvoyée pendant toutes ces années. Notre grand amour n'avait existé que dans ma tête. J'étais le dindon d'une farce que j'avais montée de toutes pièces !
Des histoires d'amour à sens unique comme celle de Céline, cela arrive souvent. Les femmes ont une facilité déconcertante à se faire leur cinéma, à prendre un bel indifférent pour le Prince Charmant, une rencontre sans lendemain pour lamour de leur vie, bref, à collectionner les douloureux quiproquos sentimentaux. Le fantasme amoureux n'est, parfois, pas loin du délire, souligne Robert Neuburger, psychiatre et psychothérapeute du couple. S'accrocher à un amour imaginaire, c'est se mettre à l'abri du passage à l'acte et du principe de réalité.
L'illusion de ne faire qu'un avec l'autre
En
chacun de nous sommeille une Emma Bovary, prête à sacrifier une réalité
par trop prosaïque à un lumineux rêve éveillé. Aimer, c'est s'exposer
au leurre, aux méprises, aux erreurs de casting : on craque pour un
homme fort et équilibré, on réalise ensuite que Superman n'est qu'un
enfant qui refuse de grandir. On se rencontre au mauvais moment, on
s'aime parce qu'il ou elle ressemble à notre père ou à notre mère,
parce qu'il ou elle va réparer le passé ou permettre de le rejouer
indéfiniment, etc.
C'est souvent d'un malentendu que naissent les passions. Marylin Monroe racontait qu'elle avait adoré Arthur Miller, parce qu'il était le premier à ne pas lui avoir demandé de coucher avec elle tout de suite. Plus tard, il lui avoua qu'il n'avait rien tenté parce qu'il avait une peur bleue ! Ce qu'elle avait pris pour du tact était une angoisse de performance ! Il arrive aussi que l'on s'invente une romance pour supporter une vie de couple qui s'essouffle. Reporter ses espérances de bonheur sur un amant virtuel permet d'assumer bien des frustrations.
Les rêves plutôt que la réalité
Selon
le psychanalyste Alberto Eiguer, une rencontre amoureuse se construit
toujours sur cette illusion fondamentale de ne faire qu'un avec lêtre
aimé. On projette sur lui nos propres sentiments, on le voit tel qu'on
voudrait qu'il soit, on l'idéalise.
En fait, tout amour se fonde sur un quiproquo, on est décalé par rapport à la réalité, un peu fou !
Cette
phase passée, il faut bien se frotter à la réalité objective et aimer
l'autre tel qu'il est. C'est justement ce passage de l'homme fantasmé à
l'homme réel que fuient les abonnées aux quiproquos. Voilà pourquoi
elles peuvent faire une fixation amoureuse sur un homme sans prendre
aucune initiative pour s'approcher de lui. La confrontation au réel
pourrait entacher la pureté de leur amour, cela les conduirait à le
désidéaliser, explique Alberto Eiguer. Ces amoureuses transies
préfèrent nourrir et garder pour elles la passion idéale qu'elles ont
fabriquée.
Elles ont peur de l'intensité de la rencontre, peur d'être absorbées, détruites par leur désir. Les sentiments qu'elles éprouvent sont si intenses qu'elles craignent de perdre la tête.
Cette façon d'aimer un homme à distance sans jamais s'autoriser à le toucher n'est pas sans rappeler l'amour dipien infantile que toute petite fille éprouve pour son père. L'homme aimé de loin synthétise le désir et l'interdit.
Il est fréquent d'ailleurs que ceux qui suscitent ces folles passions soient mariés, plus âgés et bien implantés socialement : autant de signes de la figure paternelle. S'accrocher des années à un amour fantôme signifie que les limites entre le conscient et l'inconscient sont brouillées, que l'on mélange réel et fiction.
Ainsi, Sandra reconnaît aujourd'hui avoir déliré sur Marc, son meilleur ami : Tous ceux qui nous voyaient ensemble me disaient : Il est fou de toi, ça crève les yeux ! Vous formez un couple idéal. Même mes parents le considéraient comme leur futur gendre. J'ai fini par y croire. J'étais sur mon nuage, comme sous influence, je refusais de voir, dentendre, de comprendre. Jamais Marc ne m'a parlé d'autre chose que d'amitié. C'est moi qui me suis monté le bourrichon. Je ne lui en veux pas, tout est de ma faute.
Ne rien voir, ne rien entendre
Nul n'est à
l'abri des erreurs d'interprétation. Même un couple qui va bien
comporte certaines zones d'ombre. Chacun jette un voile pudique sur les
traits de personnalité qu'il n'apprécie pas chez son partenaire et
essaie docculter les difficultés, les déceptions, les aspects négatifs
de la relation. Mais, là encore, tout est question de mesure. Quand on
en arrive à nier la réalité de l'autre pour continuer à l'aimer, le
lien devient pathologique.
Cest ainsi que, pendant quatre ans, Claire a couru après un homme qui la fuyait : Au début de notre liaison, Sébastien ma mise en garde : Je te préviens, je ne suis pas amoureux de toi ! Au lieu de le croire, j'ai commencé à le psychologiser, à interpréter sa résistance selon mon désir : il se protégeait à la suite d'un chagrin d'amour ; s'il affichait une telle froideur, c'était pour ne pas perdre contenance ; etc. Je le voyais en grand timide, en phobique de l'engagement, en psychorigide incapable d'assumer ses sentiments. J'étais persuadée qu'il finirait par m'adorer grâce à la magie de mon amour. Plus il s'éloignait, plus je m'accrochais. J'agissais contre toute logique !
Ce genre de quiproquo comporte un déni total des sentiments de l'autre, souligne Alberto Eiguer. Ce qui est occulté, c'est l'altérité du partenaire. Un homme et une femme qui s'aiment doivent se confronter à la différence des sexes et des désirs. C'est ce qu'il y a de plus difficile. Et effacer cette différence, faire comme si elle n'existait pas, peut sembler rassurant.
Refuser le désamour
Pour d'autres,
l'idée que l'amour n'est pas éternel, que toute passion naissante porte
en elle le germe de la séparation est intolérable. Edwige, par exemple,
attend un mari qui l'a quittée il y a douze ans : Jai épousé Iroki un
mois après notre rencontre. Notre passion a duré trois ans. Et puis un
jour, il est retourné vivre au Japon sans me prévenir, sans
explication. J'ai eu de ses nouvelles par l'intermédiaire de son avocat
: il demandait le divorce. Jamais je n'accepterai ! Iroki est à moi
pour la vie.
On peut refuser l'évidence et s'accrocher à un être qui s'est éloigné pour plusieurs raisons, explique Robert Neuburger. Certains ne supportent pas l'idée de banaliser une union qu'ils croyaient exceptionnelle. D'autres sont dans l'illusion de la toute-puissance : malgré la séparation, ils sont persuadés que leur ex restera dans une dépendance affective par rapport à eux.
D'autres encore dénient la réalité de leur divorce. Car il y a de plus en plus de séparations sans grief , on se sépare sans drame. Chacun garde pour l'autre de l'estime, des liens d'affection, ce qui peut créer une ambiguïté et entretenir le fantasme que l'autre aime encore pour peu que l'on veuille bien y croire !
Il ne sert à rien de vouloir arrêter le temps pour maintenir artificiellement en vie une passion défunte. A force de refuser la réalité, on risque de tomber dans ce que lon appelle l'érotomanie. C'est ce qui est arrivé à Mathilde, ancienne maîtresse dun député, marié et séducteur impénitent. Dix ans après, elle en parle comme s'ils sétaient quittés la veille. A l'entendre, cet homme est l'homme de sa vie.
Malgré la distance, une paternité récente et une ribambelle de nouvelles maîtresses, Mathilde continue de le harceler au téléphone, chez lui ou à son bureau, persuadée qu'ils sont sur la même longueur dondes et qu'il l'aime encore !
Une femme qui veut faire avancer une relation avec un homme se comporte d'une façon évocatrice, précise Alberto Eiguer. Les hommes sont habitués aux parades de séduction féminine, aux invites discrètes, aux appels indirects, aux sourires, aux regards, aux inflexions de voix engageantes. Si ces signaux subliminaux ne sont pas présents, ils ne soupçonnent rien.
Cependant, certaines femmes sont trop
inhibées pour envoyer des signaux clairs. Or, les hommes possèdent
quand même assez dintuition pour sentir, deviner, percevoir l'émoi
quils provoquent ! De là à en conclure que ceux qui suscitent des
quiproquos ont leur part de responsabilité, il n'y a qu'un pas.
Curieusement,
ça tombe toujours sur les mêmes ! souligne Robert Neuburger. Ce n'est
évidemment pas un hasard ! A la source de tout malentendu, il y a une
ambiguïté de la part de l'objet d'amour. Même s'il n'encourage rien
objectivement, la passion qu'il déclenche s'accroche sur un désir
inconscient qui existe en lui.
Il faut être deux pour aimer
Derrière
tous ces quiproquos sentimentaux se cache sans doute l'espoir insensé
et inconscient d'éviter toute souffrance. Or, on le sait, il n'y a pas
damour sans prise de risque et... sans déceptions. Se réfugier dans des
amours virtuelles, c'est se priver des possibilités créatives d'un
sentiment vécu et réciproque. C'est merveilleux de découvrir que
l'autre est tendre, accueillant, ouvert et attentif. Toute personne
aimée qui débarque dans notre vie nous oblige à évoluer, à avancer dans
la connaissance de soi et du monde. Une vraie rencontre amoureuse est
un enrichissement formidable. Encore faut-il être deux à éprouver de
l'attirance, deux à s'en apercevoir et deux à l'exprimer !
SPECIALITE FEMININE :
Les
hommes aussi peuvent tomber fous amoureux de femmes qui ne sen
aperçoivent même pas et se languir pour elles envers et contre tout.
Et, dans ces cas-là,eux aussi souffrent terriblement , reconnaît Robert
Neuburger, psychiatre et psychothérapeute du couple. Ces situations
concernent malgré tout plus spécifiquement la gent féminine. Alberto
Eiguer avance une explication : Les femmes sont plus passionnelles,
plus proches de leurs émotions, plus promptes à s'emballer, à romancer,
à rêver. Les hommes sont évidemment capables de grandes passions, mais
ils privilégient surtout l'action.
EVITER LE LEURRE :
Provoquez une vraie rencontre.
Remplacez
le silence, les non-dits, les impressions, les interprétations, les
croyances, la télépathie, par des mots, un dialogue.
Envoyez des signaux de séduction clairs.
Quand
on aime, il ne faut pas hésiter à laisser passer des signaux clairs :
regards, sourires, mots doux, badinage, flirt, etc. Si on parle
d'engagement amoureux, c'est bien parce qu'il faut prendre des
initiatives !
Acceptez le risque.
La conquête amoureuse est
un combat dont l'objectif est de vaincre la résistance de l'autre. Pour
réussir, il faut oser aller au-delà de soi-même et, parfois, se mettre
en danger.
N'anticipez pas l'échec.
Dévoiler son jeu,
entrer en relation comporte le risque de se tromper. Si votre amour est
rejeté, vous souffrirez, mais vous gagnerez du temps. Rêver des années
à un amour illusoire fait bien plus de mal.
Catherine Marchi
psychologue clinicienne, est diplômée de l'Université René Descartes Paris V.
Sources: www.psychologies.com